Lecture-littérature-numérique : enseigner, avec les technologies 2.0

Le projet LLN se compose de deux sous-projets relatifs au numérique, inscrits, pour l’un, dans les degrés de formation primaire et secondaire I, et pour l’autre, dans les degrés de l’école post-obligatoire. Tous deux interrogent le numérique, en ce qu’il influence le contexte socio-culturel contemporain, conditionnant la lecture et la littérature comme objets d’enseignement, mais également les ressources dédiées aux enseignant.e.s et les modalités d’échanges entre les professionnel.le.s.

Les sous-projet LLN1 et LLN2 reconnaisssent le discours social (Angenot, 1989) comme une source de construction des imaginaires. Une revue de presse exploratoire (Florey, 2013) a permis de repérer quelques lignes dominantes : l’intégration de la technologie dans les classes est présentée comme une évidence, une nécessité et une urgence. On y lit les contours d’une « école 2.0 » fantasmée : un élève qui apprend tout seul, en surfant sur internet ; un enseignant qui devient un animateur ou un guide ; un savoir réduit à de l’information, supposée directement accessible et utilisable par l’élève une fois qu’il a ouvert la page internet adéquate. On prête aux technologies le pouvoir de révolutionner les trois instances du triangle didactique, passant sous silence les bouleversements qu’a connus l’Ecole depuis un demi-siècle de recherches en sciences de l’éducation, notamment la lente dévolution du savoir de l’enseignant vers l’élève. 

Les deux sous-projets, chacun à leur manière, s’emparent de ce point initial et déploient un questionnement relatif aux compétences en lecture des élèves, à leur appréhension du texte (littéraire) numérique et au rapport que les enseignant.e.s entretiennent avec le support numérique.

Projet LLN1: « Un prototype d’enseignement en milieu numérique collaboratif pour les transitions entre les cycles »

Problématique

Le projet LLN 1 vise à produire un prototype d’enseignement de la lecture dans le cadre d’une recherche collaborative orientée par la conception en milieu numérique pour les cycles 1, 2 et 3 de l’école obligatoire. La compréhension en lecture s’enseigne peu, voire pas de tout (Soussi et alii, 2008). Les moyens d’enseignement à disposition ne sont que partiellement articulés au plan d’études, ils sont davantage orientés vers les contenus thématiques et référentiels que vers le traitement explicite des textes (Soussi & Ronveaux, 2017). Par ailleurs,

alors que le projet du PER est d’assurer une progression sur l’ensemble de la scolarité obligatoire, se constatent des ruptures relatives à la conception du texte et à ce qui s’enseigne, tant dans les ressources dédiées aux enseignant.e.s que dans les pratiques effectives (Thévenaz et alii, 2014). D’autre part, les nouveaux supports de lecture (albums, romans graphiques, littératie numérique, littérature « exposée » (Ruffel, Rosenthal, 2013)) modifient en profondeur les manières de lire et créent de nouvelles difficultés de lecture (Bautier et alii, 2015). Enfin, un peu partout, des communautés de pratiques se constituent spontanément sur des plateformes numériques et procèdent à des échanges de documents de qualités très inégales.

On le sait, une ingénierie modifie les pratiques de manière durable et cohérente si elle est soutenue par un processus de conception continué dans l’usage (Dolz, Noverraz & Schneuwly, 2002 ; Cèbe & Goigoux, 2007). Ce processus tient compte à la fois de l’artéfact (supports, matériels, séquences, environnement de partage) et des « schèmes d’utilisation » de ces artéfacts. Certes, l’efficacité de l’artéfact est liée aux effets que ce dernier produit sur l’apprentissage des élèves, mais se mesure surtout à la plus value qu’il apporte au travail de l’enseignant.e. Pour se développer, il doit être « intelligible, c’est-à-dire s’inscrire dans le genre professionnel des enseignant.e.s » (Cèbe & Goigoux, 2007, p. 186) et faciliter leur travail en diminuant notamment sa « pénibilité ».

Notre recherche orientée par la conception (design based research) (Sanchez & Monod-Ansaldi, 2014) observe comment les enseignant.e.s, à la transition entre les cycles (4P/5P et 8P/9P), s’emparent de la matérialité numérique pour enseigner la lecture et la littérature. Planifier une séquence, confectionner des supports de lecture et des exercices, ces gestes fondamentaux de l’enseignant.e se réalisent à partir de divers supports et interfaces numériques (ordinateurs, tablettes, téléphone portable, etc.) (Depeursinge, Capt & Florey, 2017). Quels sont-ils ? Quels contenus et instruments d’enseignement y fabrique-t-on ? Ce travail de préparation et de conception s’effectue aussi en collaboration, par la création d’une plateforme numérique collaborative qui vise à faciliter les échanges de pratiques autour d’un prototype.

But de la recherche :

– confectionner avec les professionnel.le.s des instruments qui structurent un enseignement continué de la lecture et de la littérature (tâches, textes et séquences) ;

– documenter les modèles d’environnement numérique collaboratif et les usages de la littératie numérique des enseignant.e.s et clarifier les besoins des enseignant.e.s concernant l’enseignement de la lecture ;

– accompagner l’expérimentation, l’ajustement des outils par la médiation d’une plateforme collaborative de partage de pratiques.

Méthodes :

– enquête descriptive sur les usages des enseignant.e.s et les modèles collaboratifs ;

– conception itérative d’un prototype d’enseignement à partir d’un environnement collaboratif numérique de type « communauté de pratiques », sur le modèle des DBR (conception, mise en œuvre, évaluation, théorisation, conception 2, mise en œuvre 2, etc.) ;

– analyse multifocale du travail des enseignant.e.s dans la planification de tâches, puis la mise en œuvre de ces dernières et leur redéfinition.

Plus d’information sur la page du projet du site de l’équipe du GRAFE. 

Projet LLN2: « Enseigner à partir de textes numériques, dans les degrés du post-obligatoire gymnasial »

Le projet LLN 2 concerne l’enseignement de la littérature de l’extrême-contemporain, dans un contexte numérique, et ambitionne d’explorer différentes significations du numérique. Un premier champ d’étude consiste à éprouver le portrait de l’élève « numérique » de demain aux représentations des enseignant.e.s de français du secondaire 2. Un deuxième champ d’étude concerne la manière dont les enseignants du secondaire 2 s’emparent de ces enjeux et de leur compréhension de l’élève numérique : 1) en concevant des objets d’enseignement, des séquences d’enseignement intégrant une composante numérique ; 2) en élaborant, dans une perspective collaborative avec des chercheurs en didactique, des chercheurs en philosophie et en littérature, ainsi que des écrivains, une réflexion sur les enjeux du numérique. Nous formulons ainsi trois questions de recherche :

1. Quels modèles relatifs au numérique identifie-t-on dans le discours social ?

Il s’agira de confronter ce portrait avec les enjeux du numérique thématisés par des penseurs contemporains (Han, Stiegler, Sadin,…) et d’identifier les différentes représentations des enseignant.e.s et des élèves qui auraient endogénéisé et conscientisé la composante numérique.

2. Comment le numérique influence-t-il les objets d’enseignement en littérature ?

Il s’agira dans cette sous-partie de se demander si et comment le numérique requiert de redéfinir les objets d’enseignement en littérature et plus généralement, quel statut donner à la frontière des disciplines scolaires. En littérature contemporaine se développent actuellement des pratiques dites « hors du livre », qui recouvrent notamment des textes littéraires qui ne sont pas publiés dans un format papier traditionnel. Est-ce que ce type de textes littéraires invite à redéfinir les objets d’enseignement, et cette redéfinition potentielle enjoint-elle à faire évoluer la frontière des disciplines scolaires ?

3. Comment le numérique influence-t-il les pratiques enseignantes en littérature ?

On se demandera dans cette troisième sous-partie de la recherche si et comment le contexte numérique et les objets littéraires numériques influencent les pratiques enseignantes. Comment les enseignants s’emparent de ces textes littéraires pour en faire des objets d’enseignement ? Quelle transposition didactique opérer ? Quels référents théoriques sont convoqués par les enseignants pour construire leurs séquences d’enseignement ? Quelles tâches sont proposées aux élèves ?

Méthodes

Ce projet s’inscrit dans une double perspective de recherche :

– une perspective herméneutique, convoquant une démarche d’interprétation et de théorisation, qui cherche à établir des significations (Dufays, 2001 & 2006) et qui élabore des modèles destinés à mieux comprendre la nature d’une problématique didactique.

– une perspective praxéologique, convoquant une démarche de faisabilité et d’intervention raisonnée, nourrie par un dispositif articulant trois modalités : une recherche collaborative, conjuguée avec des entretiens semi-dirigés et une analyse des tâches construites par les enseignants.

Publications, communications, journées (état au début du projet – informations plus récentes dans les états d’avancement ci-dessous)

Ronveaux, Chr. & Florey, S. (2017). La lecture et la littérature au crible d’une recherche collaborative en milieu numérique orientée par la conception. La Lettre de l’AIRDF, 62.

Florey, S., et Capt, V. (2018). Ressources numériques pour l’enseignement de la littérature de jeunesse. Promesses du temps jadis, représentations enseignantes et essai manqué de typologie. Revue de Recherches en Littératie Médiatique Multimodale (R2-LMM), 8, 3.

Participation au séminaire sur les recherches orientées par la conception, organisé par le laboratoire  du CERF (dir. E. Sanchez et Ph. Genoud).

Organisation d’une journée d’études sur les usages de la littératie numérique par les enseignant.e.s dans l’enseignement de la lecture (février 2018).

Bibliographie (état au début du projet – publications plus récentes dans les états d’avancement ci-dessous)

Projet LLN1

Bautier, E., Crinon, J., Delarue-Breton, C. & Marin, Br. (2012). Les textes composites : des exigences de travail peu enseignées ?. Repères, 45, 63-80.

Cèbe, S. & Goigoux, R. (2007). Concevoir un instrument didactique pour améliorer l’enseignement de la compréhension de textes. Repères, 35, 185-208.

Depeursinge, M., Capt, V., et Florey, S. (2017). Lorsque le numérique permet de penser la didactique du français. Enjeux: Revue de formation continuée et de didactique du français, 91, 7-22.

Soussi, A., Petrucci, Fr., Ducrey, Fr., Nidegger, Chr. (avec la participation de Ferrez, E. & Schwarz, F.) (2008). Les pratiques déclarées d’enseignement de la lecture et performances des élèves dans le canton de Genève. Service de la recherche en éducation. République et canton de Genève.

Soussi, A. & Ronveaux, Chr. (2017). Prescriptions, enseignement et évaluations externes en langue : la « littératie » entre monitorage et didactique. Forumlecture, 3, 1-11. Consulté le 6 novembre 2017 http://www.forumlecture.ch/

Thévenaz-Christen, Th. (Ed.) (2014). La lecture enseignée au fil de l’école obligatoire. L’exemple genevois. Namur: Presses Universitaires de Namur.

Projet LLN2

Depeursinge, M., Capt, V. & Florey, S. (2017). Lorsque le numérique permet de penser la didactique du français. Enjeux. Revue de formation continuée et de didactique du français, 91, 7-22.

Florey, S. (2013). Mot d’ouverture du 12^e colloque de l’AiRDF. Lausanne : HEP Vaud.

Florey, S., et Cordonier, N. (2017). Pour une place raisonnée de l’émotion dans la compréhension/interprétation et la réception des œuvres multimodales. Revue de Recherches en Littératie Médiatique Multimodale (R2-LMM), 6, 1-24.

Han, B.-C. (2015), Dans la nuée : réflexions sur le numérique, Paris : Actes Sud.

Kambouchner, D., Meirieu P., Stiegler, B. (2011). L’école, le numérique et la société qui vient. Paris : Mille et une nuits.

Rosenthal, O. & Ruffel, L. (2013). Introduction. Littérature, 160, 3-13.

Ruffel, L. (2016). Brouhaha. Les mondes du contemporain. Paris : Verdier.

Sadin, E. (2015). La vie algorythmique. Critique de la raison numérique. Paris : L’Echappée.

Saemmer, A. (2015). Rhétorique du texte numérique : figures de la lecture, anticipations de pratiques. Villeurbanne : Presses de l’Enssib.

Saemmer, A. & Tréhondart, N. (2014). Les figures du livre numérique « augmenté » au prisme d’une rhétorique de la réception. Études de communication, 43, 107-128.

Stiegler, B. (2016). Dans la disruption. Paris : Les Liens qui Libèrent.

Stiegler, B. & alii. (2006). Réenchanter le monde. La valeur esprit contre le populisme industriel. Paris : Flammarion.