Développer le répertoire pluriculturel des élèves en classe de langue étrangère : les descripteurs du CECR sont-ils réalisables dans les classes de langues étrangères?

Développer le répertoire pluriculturel des élèves en classe de langue étrangère : les descripteurs du CECR (vol complémentaire, 2018) sont-ils réalisables dans les classes de langues étrangères?

Le Cadre Européen de référence pour les langues posait dès sa parution en 2001, les bases d’une approche actionnelle, plurilingue et pluriculturelle :

On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures. On considérera qu’il n’y a pas superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d’une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l’utilisateur peut puiser. (CECR, 2002 p. 129).

Il est également question du caractère évolutif de cette compétence, selon les expériences et le parcours de l’acteur social qui utilise et développe différentes ressources en lien avec ses besoins (p.105). En classe de langue étrangère, les aspects communicatifs et culturels traités sont choisis en fonction de besoins futurs pressentis, en lien avec la vie quotidienne ou éventuellement professionnelle. L’enseignement portera sur les savoirs (culture cible[1]), les savoir-faire (découvrir, chercher des informations, apprendre, comprendre, interagir) et les savoir-être (attitude envers l’autre)[2]. C’est dans le volume complémentaire du CECR paru en 2018 que l’on trouve de nouveaux descripteurs (du niveau A2, utilisateur élémentaire au niveau C2, utilisateur expérimenté)[3]. Si, comme le souligne les auteurs[4], les descripteurs pour le plurilinguisme / pluriculturalisme ont été bien reçus par les décideurs politiques, rien de tel n’est affirmé de la part des praticiens de l’enseignement des langues. A la lecture des indicateurs de la compétence pluriculturelle, plusieurs difficultés apparaissent, notamment le fait qu’ils portent indifféremment sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être, ce qui rend difficile l’enseignement d’objets précis identifiables et évaluables. Ainsi pour un niveau B1, on attend que l’acteur pluriculturel puisse « expliquer en termes simples en quoi ses actions culturellement déterminées, peuvent être perçues différemment par des membres d’autres cultures que la sienne. » S’il est bien clair que l’apprenant peut être amené à faire une telle réflexion suite à une activité en classe, il n’est pas certain qu’il ait développé une capacité de décentration dans un contexte de la vie réelle, où les enjeux personnels et émotionnels sont nettement plus importants. Il n’est pas clair non plus s’il est question ici de savoirs, de savoir-faire ou de savoir-être. Par ailleurs, les auteurs indiquent que certains descripteurs du niveau B2 sont extrêmement élevés et peuvent convenir pour les niveaux C. La question que tout enseignant va se poser est de savoir si ces objectifs sont enseignables à des élèves de 15 à 18 ans, dont l’expérience de vie et le niveau académique sont en devenir. Faut-il alors être universitaire pour être un citoyen plurilingue et pluriculturel efficace et adapté à l’environnement diversifié de l’Europe ? Le CECR (2005) met d’ailleurs en garde les différents acteurs de la formation par rapport aux « dangers qui pourraient provenir de la marginalisation de ceux qui ne possèdent pas les capacités nécessaires pour communiquer dans une Europe interactive (p.10). Et en effet, comment viser des objectifs tels que « peut commenter l’objectivité et l’impartialité des informations et des opinions exprimées dans les médias à propos de sa propre communauté ainsi que d’autres » (B2), ou encore « peut se comporter et s’exprimer de façon adéquate dans une rencontre interculturelle[5] et admettre que ce que certains considèrent comme acquis dans une situation particulière ne l’est pas nécessairement pour d’autres » (B2) sans créer une discrimination entre les élèves, tous n’ayant pas les outils cognitifs et personnels pour les atteindre ?

 

Il semble par ailleurs difficile de traduire les nouveaux descripteurs de la compétence pluriculturelle en objectifs atteignables en classe de langue étrangère, en raison de leur ancrage dans une réalité sociale complexe et de leur caractère général et parfois peu clair. A ce titre, il est crucial de définir des indicateurs du développement de la compétence inter- ou pluri-culturelle adaptés au contexte de la classe. Ces derniers devront prendre en compte aussi bien le fait que la culture cible sera médiée par des textes oraux, écrits ou audio-visuels, et l’importance d’exploiter la diversité socio-culturelle existant dans la classe autour de projets communs, impliquant l’intégration de plusieurs points de vue. Cela dit, le développement de la compétence pluriculturelle sera toujours tributaire du niveau de langue des acteurs, et donc de leur compétence de communication dans la langue enseignée. Pour aller plus loin, une piste à privilégier en classe de langue consiste à donner plus de place aux contenus et aux thèmes traités, en tenant compte bien sûr du niveau de langue des élèves. Une autre piste consiste à encourager l’interdisciplinarité et la possibilité de faire des liens avec des branches comme le français, la géographie ou l’histoire, là où les concepts culturels peuvent être problématisés dans la langue de scolarité. La classe de langue étrangère reste, bien sûr, le lieu privilégié de la rencontre préliminaire avec une culture cible médiée par un enseignant passionné.

 


Illustration : Descripteurs pour la compétence pluriculturelle (CECR, Volume complémentaire, 2018, p.167)

Références

Byram, M. (1997). Teaching and assessing intercultural communicative competence. Clevedon: Multilingual Matters.

Byram, Michael (2000) Identité sociale et dimension européenne : la compétence interculturelle par l’apprentissage des langues vivantes. Conseil de l’Europe.
http://archive.ecml.at/documents/identityF.pdf

Council of Europe. (2001). Common European Framework of Reference for Languages: Learning, Teaching, Assessment. Cambridge: CUP.

Conseil de l’Europe. (2018). Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Volume complémentaire avec de nouveaux descripteurs. © Council of Europe. https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages

 


[1] La culture cible peut être comprise comme une entité homogène (faits et généralisations sur une nation parlant la langue enseignée) ou elle peut être comprise dans sa diversité (diversité de groupes socioculturels, de régions, relativisation des stéréotypes). C’est bien la deuxième acceptation qui est visée dans une approche pluriculturelle.

[2] Byram (1997).

[3] Voir illustration 1.

[4] Sjur Bergan & Villano Oiriazi (2018) CECR, Vol compl. (p.22).

[5] Le CECR se réfère aussi bien à la compétence pluriculturelle qu’à la compétence interculturelle. On retiendra ici que la compétence pluriculturelle témoigne de l’identification d’un individu ou d’un groupe à plusieurs cultures (accès à un répertoire pluriculturel), alors que la compétence interculturelle comprend les compétences nécessaires à la rencontre et à l’échange entre deux individus ou groupes.


Sandrine Onillon, HEP-BEJUNE, Didactique des langues étrangères

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  1. […] Cette spécialiste en approche actionnelle et en interculturalité s’interroge dans un article publié en juillet dernier sur la possibilité réelle de mettre en place dans la classe certains […]

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